Débarqués de Tasmanie le 23 février, nous nous sommes mis à
la recherche d’un nouveau boulot dès le lendemain.
Notre cible, cette
fois-ci : les vendanges. Celles-ci commençaient un peu partout dans le
Victoria et le New South Wales, nous avions l’embarras du choix dans la région
à cibler.
Premier essai : la région de Séville, à une heure de
Melbourne, où nous avions ramassé nos
chères cerises quelques temps plus tôt.
Nous avons sillonné la région pendant 2 jours, mais rien
d’intéressant ne semblait se présenter. Dans certaines fermes, nous arrivions
trop tôt, dans d’autres, trop tard… Dans le coin, la plupart des fermiers
passaient par l’intermédiaire d’un contracteur : Ben
Selon eux, impossible d’obtenir un job dans le coin sans
passer par ce fameux Ben.
Ben semblait régner en maître absolu sur tous les
vignobles du coin, pouvant disposer à son gré du plein pouvoir qui lui était
conféré : décider quels rares backpackers seraient les heureux élus pour
aller jouer du sécateur dans les rangées de Sauvignon, Merlot et autres Chardonnay.
Un homme tout à fait charmant, ce Ben.
Après 3 ou 4 appels sur son portable sans réponse de sa part, nous avons
enfin réussi à le joindre. Nous n’avons malheureusement pas pu profiter du
plaisir d’entendre sa voix très longtemps. Dans un souci que je qualifierais de
pragmatique, il a pertinemment résumé la réponse à notre question en deux
petits mots « no job», prononcés de façon très affirmée, juste avant
de nous donner le plaisir d’entendre le bip de la sonnerie, signe qu’il avait
raccroché. Nous ne pouvons que louer la concision dont il a fait preuve à notre
égard, nous évitant de perdre notre temps.
Il nous paraissait donc assez inutile de nous attarder plus
de temps dans ce coin-là, nous avons décidé de migrer « un peu plus loin ».
C’est comme ça que nous avons débarqué à Orange, à 800 km de
là.
Orange est une ville de 40 000 habitants, située à 200
km de Sydney. Elle est connue pour être une région de culture de tout un tas de
fruits : cerises, pommes, poires et raisins en tête. Pas la moindre orange
à ramasser ici par contre. Le nom de la ville est une référence à Guillaume
d’Orange. Orange est aussi l’une des rares villes d’Australie à être
régulièrement enneigée l’hiver.
En arrivant à Orange, je dois dire que nous avons eu
beaucoup de chances. Nous avons trouvé un travail le premier jour de notre
installation ici, après seulement 200 appels. M., viticulteur, nous proposait
de commencer dès le lendemain matin pour 4 jours de boulot. On s’est dit que ça
serait toujours ça de pris.
Malheureusement, le temps avait décidé de s’immiscer un peu
dans cette histoire.
Un beau soleil nous
accompagnait pourtant depuis notre retour de Tasmanie, et laissait entrevoir
des journées radieuses passées à entasser gaiement des grappes de raisins dans
des seaux tout en peaufinant notre bronzage.
Quelques heures après l’appel de M., pluies et orages sont
venus jouer les trouble-fêtes. Résultat : re-rappel de M. pour nous dire
qu’on ne pouvait plus travailler dans l’immédiat et qu’il faudrait attendre que
le mauvais temps passe.
Nous avons donc attendu, puisqu’on ne pouvait strictement
rien faire d’autre. Pour tout dire, la pluie quand tu vis en van, c’est
franchement déprimant. Tu as l’impression d’être projeté dans une faille
spatio-temporelle : le temps continue à se dérouler de façon tout à fait
normale, sauf que toutes tes activités se trouvent mises en suspens pour un
temps indéfini.
Heureusement, la pluie a fini par capituler au bout de 3
jours d’assauts constants.
Le lundi, nous avons donc pu rejoindre le vignoble
de M., qui gère la ferme avec son père, pour débuter dans nos nouvelles
attributions.
Le cadre nous a d’emblée plu, on s’y sentait bien, et le
boulot avait l’air tout à fait correct.
Chapeau rouge K-Mart sur T-Shirt violet : la grande classe
Mais on a tout de suite pressenti qu’un léger obstacle
allait vite se dresser entre M. et nous, d’ordre communicationnel. M. nous a
paru très sympa mais parfois dénué des compétences les plus basiques dans ce
domaine. Par exemple, comme on a pu intelligemment le remarquer dans nos
différents boulots en Australie, en général,
le boss t’indique préalablement combien tu seras payé, et sous quelle
modalité (au rendement ou à l’heure, déclaré ou cash, ce genre de choses).
M. de son côté,
pensait peut-être qu’on bossait pour le fun et n’avait pas l’air de
trouver utile de nous renseigner sur cet aspect.
Il n’avait tout simplement pas l’air d’avoir réfléchi à ces
questions. La première fois qu’on lui a demandé « On sera payé
combien ? » Il nous a répondu : « Euh, je ne sais pas
encore. D’habitude, je paie au rendement, mais là, vu que la récolte n’est pas
très bonne, ce sera certainement payé à la journée ».
On était bien
avancé.
La deuxième fois qu’on lui a demandé, il nous a confirmé que ça serait
payé à la journée, mais ne nous a pas dit combien. La troisième fois, il a
enfin concédé à nous dire un prix, mais du bout des lèvres, l’air hésitant.
Ceci dit, la paie était tout à fait correcte. Au bout d’un long moment, il nous a aussi dit que ça serait un travail déclaré,
mais nous n’avons pas vu passé l’ombre d’un contrat. Ce qui est moyennement
rassurant. En gros, tu bosses, rien ne le prouve et tu te demandes donc si tu
vas réellement être payé ou non à la fin.
Enfin, en attendant, on bossait seulement tous les deux sur
la ferme, et le travail se passait plutôt bien.
Le deuxième jour, le père de M nous a demandé :
« Au fait, est-ce que M vous a dit que vous pouviez rester dormir
ici ? » Euh, vu que M. ne nous dit strictement rien de lui-même, ça
ne risquait pas d’être le cas.
Mais on était plutôt content d’apprendre qu’on pouvait
rester sur la ferme. Ça nous démangeait d'ailleurs de poser la question.
L'endroit où nous avons établi notre base, et ses environs : plein d'espace et de verdure juste pour nous.
Un petit cadeau maison du père de M., renouvelé plusieurs fois.
A l'origine, un simple malentendu : il a cru qu'on ne se nourrisssait QUE de noodles, tout ça parce qu'il est passé devant nous le seul jour où on en a mangé sur la ferme.
Le père de M. nous a aussi montré une grande salle de bain
et un frigo qu’il nous mettait à disposition. Tout ceci était plutôt appréciable.
On s’est bien entendu avec lui. Il nous a expliqué tout le processus
pour faire du vin, nous montrant les différentes étapes de fabrication dans son
entrepôt. Il nous a aussi montré les peintures qu’il réalisait, et… petite
surprise… sur l’une d’entre elle, était représenté un petit quartier aux
ruelles pavées de briques roses, et dont
les bâtiments étaient eux aussi tout roses… Bref, ça nous rappelait un peu
notre ville rose.
Confirmation du père de M. : posée là au milieu de tout
un tas de tableaux représentant des choses assez disparates (paysages,
animaux), il s’agissait bien d’une peinture de Toulouse. Il aura suffi d’une
peinture pour éveiller une lueur de nostalgie ce soir-là…
Le père de M. nous a aussi indiqué qu’ils avaient besoin de
personnes pour entretenir les vignes une fois que la récolte serait terminée,
et qu’on serait peut-être pris pour ce boulot, si on le souhaitait. On n’était
pas contre quelques jours de travail supplémentaires.
Malheureusement, il a rajouté :
« Enfin si M. est d’accord, vu que c’est lui qui gère ça » La mention
de M. a refroidi nos ardeurs et effectivement, nous avons pu constater quelques
jours après qu’il n’avait pas les mêmes plans en tête que son père.
C’est après avoir achevé 4 jours de travail que les petits
problèmes de communication sont montés en grade : le soir du quatrième
jour, M. nous a dit qu’on ne travaillerait pas le lendemain vu les mauvaises conditions
météo.
Le lendemain, on a donc
passé une journée de repos sur la ferme,
attendant de nouvelles directives pour le jour suivant.
N’ayant aucune nouvelle
de M., on lui a envoyé un texto pour savoir ce qu’il en était. La réponse nous
a quelques peu surpris. "Ok, guys, il n’y a plus de boulot en ce moment.
Il y en aura peut-être dans deux semaines".
En gros, on était là comme
des cons à attendre de reprendre, alors que le job était déjà fini. Et il ne
lui avait pas paru NORMAL de nous en informer. Je me demande encore, si on
n’avait pas envoyé ce message, au bout de combien de temps il serait venu nous
voir sur notre campement pour nous dire « Ah oui, j’avais oublié de vous
dire, en fait, vous pouvez partir ! ».
Après tout ça, nous avons quitté la ferme et sommes
retournés à nos centaines de coups de fil pour retrouver quelque chose. Le seul
espoir que nous avions venait de Lee, une autre viticultrice.
Nous avions pris contact avec elle quelques temps plus tôt,
et elle nous avait dit qu’elle nous rappellerait dès qu’elle pourrait commencer la récolte,
c’est-à-dire, dès que la pluie et les orages seraient passés. Mouais....
On était donc assez perdu quand un matin, quelqu’un a tapé
violemment sur la porte de notre van. On a ouvert, à moitié réveillés et mal
coiffés, s’attendant à voir débarquer un ranger ou un backpacker ayant besoin
d’un coup de main pour je ne sais quoi.
A la place, nous avons vu le visage de Chris, la
cinquantaine, nous lançant un "Good Morning" souriant. Ce sourire était plutôt
inattendu, il m’a fallu un bon moment avant de comprendre que la personne en
face de moi ne cherchait pas à nous mettre une amende ou nous demander de
partir dans les plus brefs délais.
A la place, Chris nous a juste demandé : "Est-ce que
vous cherchez un boulot" ? Cette question est un non-sens. Personne
ne vient à Orange pour autre chose que du travail. Et si nous n’étions pas
présentement en train de travailler, c’est donc que nous cherchions du travail.
Ceci dit, nous venions de découvrir une nouvelle méthode de recherche de travail que nous n’avions jamais envisagée : ne rien faire, et attendre que quelqu’un vienne frapper au van. Je doute cependant que le plan « si tu ne trouves pas de travail, le travail viendra à toi » marche à tous les coups.
Rendez-vous était donc pris le lendemain pour aller bosser dans la ferme de Chris, pour une seule journée.
La chance semblait avec nous puisque, le soir-même, Lee nous rappelait pour nous proposer deux jours de boulot que nous avons enchaînés par la suite.
Bosser dans des vignobles a aussi de bons côtés.
Notre chance s’est arrêtée là. Nous n'avons pas eu de travail la semaine suivante. Toutes les récoltes étaient à nouveau en stand by à cause du retour des intémpéries. Nous avons donc eu tout plein de temps pour nous, que nous avons mis à profit pour … attendre que ça passe.
Au terme de cette semaine, on se demandait si on
n’allait pas quitter Orange, quand M. (qu’on avait un peu oublié) s’est à
nouveau manifesté. Il nous proposait de revenir travailler sur la ferme pour
une deuxième session.
On a pu constater avec grand plaisir que ses petites
particularités en matière de communication étaient toujours d’actualité. Par
exemple, le premier soir, on lui a demandé si on serait payé en forfait
journée, comme la première fois, ou au rendement. Cette fois-ci, il nous a dit
que ça serait au rendement. En toute honnêteté, si on l’avait su avant, on aurait peut-être travaillé légèrement plus
vite la première journée. Ceci dit, on s’attendait à la suite logique,
c’est-à-dire à ce qu’on nous dise combien on serait payé par seau. Évidemment,
avec M., ça ne semble pas couler de source et nous n’en avons rien su. Il nous
a quand même dit qu’il avait compté nos seaux, mais n’a pas poussé l’idée
jusqu’à nous dire combien on en avait fait.
Mis à part ces petits bémols, on est content d’avoir repris
du service ici, on s’y plaît bien, que ce soit pour le travail ou le petit
emplacement qui nous est attribué sur la ferme. Là, par exemple, je suis en train
de taper cet article tout en regardant un joli coucher de soleil.
Et, puis, surtout, on va très bientôt laisser la partie
« travail » définitivement derrière nous pour profiter pleinement de
la partie « vacances » de notre visa. Je pondère :
on a déjà profité abondamment de cette partie vacances, et de toute façon, même
quand on travaille, on se sent quand même en vacances.
Mais là, on a à
nouveau changé nos plans et on est plutôt enthousiaste : d’ici quelques jours, on devrait quitter Orange
pour aller visiter Sydney et ses environs. Là-bas, on compte revendre le van,
avant de sauter dans un avion pour la côte ouest. La côte ouest, partie la plus
sauvage et pour beaucoup la plus belle de l’Australie, n’était pas prévue à la
base de notre programme. Ou plutôt, on pensait peut être la faire plus tard, à
condition de revenir ici pour une deuxième année, idée à laquelle on avait plus
ou moins pensé. Après réflexion, on a décidé de ne pas revenir l’an prochain
mais d'aller dans le Western Australia cette année en contre-partie, histoire de ne pas
avoir de regrets.
On a donc très hâte de ranger nos sécateurs pour aller découvrir tout ça !
On a donc très hâte de ranger nos sécateurs pour aller découvrir tout ça !